Be hockey !

Florian Cazzola, correspondant à Toronto (Canada)
10 Mai 2013



Les Canadiens ne vivent que pour ça ! Avoir le privilège d’encourager leur équipe lors des séries éliminatoires de la coupe Stanley. Une religion que les Européens tentent de s’approprier en accueillant leur championnat du monde de hockey pour la 75e fois (sur 77). Entre suprématie et choc des cultures, le hockey sur glace tente de se frayer un chemin sur le vieux continent après avoir conquis l’Amérique du Nord.


Match des Canadiens de Montréal au Centre Bell. (Crédit photo : Martin Duranleau)
Match des Canadiens de Montréal au Centre Bell. (Crédit photo : Martin Duranleau)
C’est une saison particulière qui vient de se terminer en Ligue Nationale de Hockey (NHL). La faute à un lock-out qui opposait la ligue à l’association des joueurs (AJLNH) et qui a donc considérablement écourté le championnat. Chaque franchise n’a ainsi disputé que 48 matches contre 82 à l’accoutumée.

Un conflit aujourd’hui oublié à l’heure du premier tour des séries éliminatoires de la coupe Stanley. C’est donc poussé par des millions de partisans nord-américains que les huit meilleures franchises de chaque conférence (Est et Ouest) vont s’affronter dans des oppositions à éliminations directes. Car oui, le hockey est, outre-Atlantique, le sport roi. Il est irremplaçable et inamovible dans la culture états-unienne et canadienne. Et pour le comprendre, il suffit de s’attarder sur quelques détails historiques déterminants.

Un sport à l’image de son continent : multiculturel

Alors qu’aucun doute ne subsiste sur la suprématie du hockey canadien, les origines de ce sport restent beaucoup plus floues. Officiellement né sur la patinoire Victoria de Montréal, une fameuse matinée du 3 mars 1875, de nombreuses illustrations démontrent que la crosse était maniée bien avant. La peinture de Petr Bruegel, Hunters in the Snow (1565) reste le témoignage le plus connu. Car ce serait les immigrants irlandais et anglais qui auraient introduit cette pratique du XVIe siècle dans le 51e État. Un sport qui s’est rapidement fait une place de choix dans la culture nord-américaine alors que le vieux continent préférait dans le même temps, sacraliser le football et le rugby.

Un choix plus logique pour plusieurs raisons. Si le hockey sur glace s’est aussi bien installé outre-Atlantique, c’est d’abord parce que le climat s’y prête parfaitement. La durée des saisons hivernales et les températures extrêmes ont favorisé l’implantation de patinoires dans toutes les villes. Elles sont presque aussi nombreuses que les terrains de football dans l’hexagone. Dans le centre-ville de Toronto, on n’en compte pas moins de 15. Des lieux gratuits, qui témoignent de l’attachement de la population vis-à-vis de cette discipline.

Au Québec, c’est plus de 650 000 personnes qui pratiquent ce sport sur une population totale de 7,8 millions d’habitants, et c’est environ 80% de la population canadienne qui s’intéresse à cette activité. C'est avec la même ferveur que les garçons comme les filles partagent cette passion. Nicolas Baillou, consultant Canal + pour la 77e édition des championnats du monde de hockey sur glace qui se déroulent en Finlande et en Suède, concède que la domination mondiale du nouveau continent s’explique aisément : « c’est le premier sport là-bas (au Canada NLDR) parce que tout le monde joue dès qu’il fait froid, contrairement en France où la tradition est moins présente ». Pour le chanteur Roch Voisine, ancien hockeyeur, « presque 5% de la population joue au hockey sur glace au Canada. C’est énorme pour 37 millions d’habitants. Et puis, s’il y a autant de joueurs, c’est parce qu’on commence à patiner tôt, très tôt ! Moi par exemple, j’ai commencé à 3 ans ».

« La NHL est un business »

Si le climat est l'une des raisons qui fait du hockey le sport numéro 1 en Amérique du Nord, elle n’en est pas l’unique, le développement de ce sport étant également conditionné par la publicité. Les intermèdes étant nombreux, les chaines de diffusion ont vu en ce sport une mine d’or financière.

D’ailleurs, Nicolas Baillou qui a accepté notre interview la veille du match Finlande - France le résume très bien : « la NHL est avant tout un business qui de ce fait, attire les meilleurs joueurs de la planète ». C’est par ce biais que des sports tels que le basket, le baseball ou le football américain ont pu s’implanter et se développer en Amérique du Nord. Quant aux coûts liés à l’achat des équipements, il n’est qu’un facteur résiduel dans la longue liste des contraintes liées au développement de cette discipline dans des régions du globe au climat moins froid.

Le consultant de Canal + nous affirme cependant que la « violence de ce sport et les nombreux combats à mains nues entre joueurs ne sont en aucun cas des motifs explicatifs de la difficile adaptation de ce sport en Europe, car si on compare le hockey au rugby, il n’est pas plus violent ». Une brutalité face à laquelle il se montre assez hostile, estimant que le hockey « ce n’est pas ça ! »

Et si nous sommes obligés de constater la domination nord-américaine, l’Europe a également son mot à dire …

Pourquoi pas nous ?

C’est à la toute fin du XIXe siècle que le hockey sur glace arrive en Europe par l’intermédiaire des fils de Frederick Arthur Stanley, ancien gouverneur général du Canada. Il se fait rapidement une place dans les pays nordiques, la Finlande, la Norvège et la Suède en tête. Son jeu parfois qualifié de « savant mélange entre la glisse acrobatique et la Seconde Guerre mondiale » comme aimait le dire Sir Alfred Hitchcock, a conquis la Russie et la Suisse pour en faire un de leurs sports principaux.

Sous l’impulsion d’Andrei Medvedev, le hockey européen retrouve du poil de la bête au sortir des années 2000 après avoir connu d’innombrables échecs. La KHL (ligue russe) décide d’intégrer des franchises limitrophes et montre par ce biais son objectif de se développer sur la partie occidentale du vieux continent. Et ça marche ! Des affluences en nette hausse sont constatées, on dépasse désormais la barre des 10 000 spectateurs de moyenne. Un chiffre encore dérisoire si on le compare aux quelque 17 400 personnes qui envahissent les patinoires à chaque match de NHL.

Quant au pays helvétique, il a fait de cette pratique son sport national. Une vitrine qu’il tente d’exporter par l’intermédiaire de sa ligue, la plus suivie après celle nord-américaine. Le pays est en train de prendre une revanche sur l’histoire grâce au regain d’intérêt des sponsors et des diffuseurs. Il démontre qu’il est un des pays sur lequel il faudra compter à l’avenir.

Et la France dans tout ça …

On y arrive, petit à petit. Surfant sur le développement des ligues voisines, la ligue Magnus se régénère en 2002, après avoir connu des heures sombres : litiges internes, disparition médiatique, dépôt de bilan… Les franchises historiques se maintiennent et c’est sans surprise l’Est qui reste la zone géographique la plus représentée avec 10 clubs sur 14.

Grâce aux « jeunes pousses » qui commencent à percer en NHL, et face à la spectacularité qu’offre ce sport (malgré la prohibition des combats entre joueurs), le public réinvestit les stades peu à peu et c’est devant une moyenne de 1 500 spectateurs environ que les joueurs font le show. Et à ce petit jeu, c’est Rouen qui remplit le plus sa patinoire. Les Dragons, triples tenants du titre, ont d’ailleurs commencé la saison sur les chapeaux de roues.

Un sport d’avenir qui est dans l’obligation de se renforcer pour attirer sponsors et attraits médiatiques comme l’analyse Nicolas Baillou : « il faut que le hockey français soit beaucoup plus fort sportivement, plus structuré pour que les spectateurs soient accueillis dans de belles patinoires. […] Il est donc nécessaire d’avoir une ligue forte avec des joueurs identifiés et de qualité. Le reste découlera par lui-même. […] Quant à l’équipe de France, elle doit devenir une vitrine promotionnelle de ce sport encore trop peu médiatisé, et les joueurs font de leur mieux pour que le plus de monde possible s’intéresse à cette discipline ».

Nul doute que l’introduction des combats en ligue Magnus apporterait un attrait supplémentaire. Malheureusement, ce n’est pas prévu pour l’instant.

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